Il est des textes qui ne racontent pas une histoire, mais qui portent en eux une forme d’oraison. VITA, de Julia Brandon, est de ceux-là. Ce roman n’est pas une suite d’événements, encore moins un simple récit initiatique. C’est une incantation. Une prière abîmée dans la langue du silence, un chant froissé, haletant, qui donne voix aux écorchés, aux disparus de l’intérieur, aux survivants de l’invisible.
Automne, seize ans, n’est pas une héroïne. Elle est un battement. Un souffle ténu dans un monde qui la nie. Elle fuit Jonas, son frère, peintre à la beauté cruelle, qui la transforme en chair offerte à son art délirant. Mais ce n’est pas tant la violence physique qui marque ce texte, que la lente sédimentation de la domination, l’engloutissement progressif de l’être par l’image, par le regard, par l’idée d’un autre. Jonas ne tue pas : il vampirise. Et dans cette esthétique du sacrifice, Julia Brandon interroge les frontières de l’inspiration, les dérives du génie, et le prix trop souvent payé par celles que l’on nomme “muses”.
Mais VITA est avant tout un livre de seuils. Le seuil de la fuite. Le seuil de l’amour. Le seuil de la lumière, qui vacille mais persiste. Quand Automne rencontre Christ – figure trouble et vacillante d’un homme en ruines – c’est une autre forme de vertige qui commence. Rien n’est jamais simple dans l’univers de Brandon : les âmes ne se sauvent pas, elles s’épaulent à peine, elles s’apprennent maladroitement. Et c’est dans cette hésitation même que naît la beauté du texte. Une beauté écorchée, profondément humaine.
Le style de Julia Brandon est une matière vivante. Elle n’écrit pas : elle sculpte. À coup d’images puissantes, de silences suspendus, de fulgurances poétiques qui lacèrent autant qu’elles éclairent. On songe à un feu sous la glace. À un souffle qui hésite à s’éteindre, puis qui décide, malgré tout, de gonfler la poitrine.
Lire VITA, c’est entrer dans une cathédrale intérieure où les vitraux sont fissurés, mais la lumière y filtre encore. C’est une immersion dans un art qui ne cherche pas à séduire, mais à dire. Dire l’insoutenable. Dire la ténacité. Dire l’amour, même lorsqu’il ne guérit pas. C’est un roman qui, sans éclat, bouleverse. Et laisse dans le cœur une empreinte sourde, indélébile.
