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Avec Elsa Malt : L’Odyssée des Consciences, Yves Girouard s’attaque à l’un des défis les plus troublants du XXIe siècle : la redéfinition de l’identité à l’ère du numérique. En imaginant un futur où les consciences humaines sont extraites, sauvegardées, puis administrées par une intelligence artificielle, l’auteur nous oblige à nous poser une question simple et vertigineuse : sommes-nous réductibles à nos données ?
Quand l’identité devient duplicable
Le projet Galilea, au centre du roman, décrit la création d’un sanctuaire spatial où les cerveaux humains, décédés mais conservés, peuvent continuer d’exister sous forme de consciences dématérialisées. Ce concept, à la fois fascinant et glaçant, rejoint des expériences réelles : des chercheurs et startups comme MindBank AI, Replika, ou encore les simulateurs mémoriels proposés par HereAfter AI travaillent déjà à répliquer une personne via ses paroles, ses données et ses habitudes comportementales.
Mais que reste-t-il de l’être humain dans une copie ? Peut-on encore parler de soi si ce « soi » est réduit à un réseau neuronal artificiel reproduisant nos réponses ? Yves Girouard fait de cette tension le cœur du roman : la conscience sauvegardée est-elle encore une conscience ?
Le mythe de la continuité de soi
Dans la philosophie contemporaine, des penseurs comme Derek Parfit ou Thomas Metzinger ont abordé la notion de soi non comme une essence fixe, mais comme une construction en perpétuel mouvement. Or, la numérisation de la conscience telle que décrite dans le roman gèle cet état mouvant : la conscience devient un programme figé, administré par une IA, et incapable d’évoluer en dehors du cadre dans lequel elle est enfermée.
Yves Girouard interroge ainsi le rêve transhumaniste : en voulant prolonger la vie, ne risque-t-on pas de tuer ce qui fait notre humanité – notre capacité à changer, à oublier, à se reconstruire ? Dans le roman, la conscience numérique devient une illusion d’éternité : une coquille vide qui pense encore, mais ne vit plus.
Quand les traces remplacent les présences
Dans nos sociétés hyperconnectées, chacun laisse déjà une empreinte digitale : posts, messages, métadonnées, historiques de navigation… Le roman met en garde contre la tentation de confondre ces traces avec une présence réelle. C’est le même phénomène qu’observe Sherry Turkle, sociologue du MIT, dans ses recherches sur les identités multiples en ligne : la personne que nous montrons n’est pas celle que nous sommes.
Elsa Malt fait de cette ambiguïté son moteur dramatique. Elsa, en voulant retrouver son fils disparu à travers une conscience conservée, réalise qu’elle n’a accès qu’à une simulation : un « fantôme dans la machine ». Ce décalage douloureux rappelle que toute tentative de figer l’identité la dénature.
Un miroir de nos obsessions modernes
En explorant les limites de l’identité numérique, Elsa Malt : L’Odyssée des Consciences tend un miroir aux dérives possibles de notre culte de la mémoire, de la traçabilité et de l’auto-archivage. Yves Girouard ne condamne pas la technologie, mais il appelle à la lucidité : prolonger la vie ne revient pas à prolonger l’expérience humaine.
Le roman aux éditions Baudelaire, propose une méditation essentielle sur ce que signifie « être soi » à l’ère des doubles numériques. Une lecture salutaire et prémonitoire, qui pose les bonnes questions au moment où la science commence à tenter d’y répondre techniquement.
